Vieux frères, vieux frères.
Je vous écris en pensées
Alors que vous êtes sûrement déjà en train de dormir,
Cueillis par le sommeil.
À part évidemment notre vieux frère qui veille
Et les autres vieux frères qui se lèvent de l'autre côté de la Terre.
Vieux frères.
C'est une nuit claire et silencieuse :
Le blizzard du dehors est enfin reparti.
Je voulais profiter de ce moment de répit
Pour vous parler de quelque chose,
De quelque chose d'important.
Vieux frères.
Il y a longtemps, plusieurs années déjà,
On m'avait offert une amulette, un genre de talisman
Qui m'avait pratiquement sauvé la vie,
Qui m'avait permis de mieux voir,
De distinguer les cordons d'argent.
Vieux frères.
Malheureusement, on me l'a enlevé,
Il s'est éteint après avoir clignoté comme un néon fatigué.
Je l'ai perdu puis retrouvé, puis reperdu et reperdu encore cent fois
Jusqu'à baisser les bras.
Et pourtant, vieux frères.
Contre toute attente,
Je crois qu'il est en train de se passer quelque chose.
Je sens que quelque part, à l'intérieur, ça recommence à bouger.
Que les pulsations reprennent.
Vieux frères.
Au début, elles étaient très faibles et très espacées,
Au point que je les entendais même pas.
Mais depuis, ça s'est accéléré, petit à petit.
Depuis, on dirait que la machine que je pensais hors-circuit
Est en train de redémarrer.
Vieux Frères.
Ça a commencé il y a plusieurs mois, mais au début j'ai pas relevé.
Comment je pouvais me douter en même temps ?
J'ai pas remarqué tout de suite les flashs colorés dans le noir,
Les éclats furtifs sur les parois et les visages.
Vieux frères.
D'abord c'était sous les arcades
Lorsqu'on a cru toucher le fond et y rester pour de bon
Mais qu'on a réussi à resserrer le cercle par deux fois.
Puis il y a eu les fumigènes, les fusées parachutes tirées de partout
Comme des cris de ralliement faisant écho dans les vallées.
Ensuite, ça a été au tour du vieux frère
Qui a changé pour devenir sage.
Puis au tour de l'autre vieux frère
Qui s'est remis en selle pour toujours.
Je me rappelle aussi ce soir du mois de mai, du jeu de fléchettes
Et qu'on était encore rentrés seuls comme des cons
Mais soulagés d'en rire.
Vieux frères.
Encore après, il y a eu la route.
On traversait les grands espaces du Loiret.
Quand j'ai vu notre vieux frère prendre une photo avec ses mains.
Et enfin, vieux Frères, il y a eu hier soir.
Hier soir, à 10000 pieds, alors que l'avion était plongé dans le noir.
Chacun votre tour, en quelques secondes, comme en plein jour,
Comme dans les rues, quand la nuit tombe.
Chacun votre tour, vieux frères, vous vous êtes allumés,
Vous vous êtes parés d'un halo bleu doré.
J'ai cru voir un tableau.
Le temps s'est arrêté.
Je vous le jure sur tout ce que j'ai de plus précieux.
Je vous le jure sur la vie de tous les vieux frères,
Sur celle des Belles
Et sur la mienne.
Vieux frères, je crois que je suis en train de retrouver la vue.
Vieux frères.
C'est ce que j'attendais depuis tellement de temps.
C'est pour ça que je boxais dans le noir,
Que j'écrivais des mantras en me faisant violence pour y croire.
Sans savoir à quoi ça pouvait ressembler réellement
Parce que j'avais oublié.
Vieux frères.
Peut-être que je suis cintré. Peut-être que ça va disparaître.
Peut-être que je me suis trompé. Peut-être que c'est que dans ma tête.
Mais pour l'instant, c'est là et bien là, et pour preuve :
Je l'ai dans le creux de ma main
Au moment où je vous adresse ces phrases.
Alors vieux frères.
Avant de se faire ken encore une fois.
Avant que les ténèbres avalent cette flamme .
On va mettre le dernier coup de rein et montrer les dents.
On va replonger dans le torrent et peu importe pour combien de temps
Parce que maintenant on sait que ça peut exister,
Que c'est possible.
Vieux frères.
On va se casser de ce tunnel.
On va prendre notre revanche, vieux frères.
On va gagner la belle.