. . J'ai l'habitude, le soir, bien avant d'y être poussé par la fatigue, d'éteindre la lumière.
. . Après quelques minutes d'hésitation et de surprise, pendant lesquelles j'espère peut-être pouvoir m'adresser à un être, ou qu'un être viendra à moi, je vois une tête énorme de près de deux mètres de surface qui, aussitôt formée, fonce sur les obstacles qui la séparent du grand air.
. . D'entre les débris du mur troué par sa force, elle apparaît à l'extérieur (je la sens plus que je ne la vois) toute blessée elle-même et portant les traces d'un douloureux effort.
. . Elle vient avec l'obscurité, régulièrement depuis des mois.
. . Si je comprends bien, c'est ma solitude qui à présent me pèse, dont j'aspire subconsciemment à sortir, sans savoir encore comment, et que J'exprime de la sorte, y trouvant, surtout au plus fort des coups, une grande satisfaction.
. . Cette tête vit, naturellement. Elle possède sa vie.
. . Elle se jette ainsi des milliers de fois à travers plafonds et fenêtres, à toute vitesse et avec l'obstination d'une bielle.
. . Pauvre tête !
. . Mais pour sortir vraiment de la solitude on doit être moins violent, moins énervé, et ne pas avoir une âme à se contenter d'un spectacle.
. . Parfois, non seulement elle, mais moi-même, avec un corps fluide et dur que je me sens, bien différent du mien, infiniment plus mobile, souple et inattaquable, je fonce à mon tour avec impétuosité et sans répit, sur portes et murs. J'adore me lancer de plein fouet sur l'armoire à glace. Je frappe, je frappe, je frappe, j'éventre, j'ai des satisfactions surhumaines, je dépasse sans effort la rage et l'élan des grands carnivores et des oiseaux de proie, J'ai un emportement au-delà des comparaisons. Ensuite, pourtant, à la réflexion, je suis bien surpris, je suis de plus en plus surpris qu'après tant de coups, l'armoire à glace ne se soit pas encore fêlée, que le bois n'ait pas eu même un grincement.