Te souviens-tu, disait un capitaine
Au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu qu'autrefois dans la plaine,
Tu détournas un sabre de mon sein ?
Sous les drapeaux d'une mère chérie,
Tous deux jadis nous avons combattu ;
Je m'en souviens, car je te dois la vie :
Mais, toi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?
Te souviens-tu de ces jours trop rapides,
Où le Français acquit tant de renom !
Te souviens-tu que sur les pyramides,
Chacun de nous osa graver son nom ?
Malgré les vents, malgré la terre et l'onde,
On vit flotter, après l'avoir vaincu,
Notre étendard sur le berceau du monde :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?
Te souviens-tu que les preux d'Italie
Ont vainement combattu contre nous ?
Te souviens-tu que les preux d'Ibérie
Devant nos chefs ont plié les genoux ?
Te souviens-tu qu'aux champs de l'Allemagne
Nos bataillons, arrivant impromptu,
En quatre jours ont fait une campagne :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?
Te souviens-tu de ces plaines glacées
Où le Français, abordant en vainqueur,
Vit sur son front les neiges amassées
Glacer son corps sans refroidir son cœur ?
Souvent alors, au milieu des alarmes,
Nos pleurs coulaient, mais notre œil abattu
Brillait encore lorsqu'on volait aux armes
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?
Te souviens-tu qu'un jour notre patrie
Vivante encore descendit au cercueil,
Et que l'on vit, dans Lutèce flétrie,
Des étrangers marcher avec orgueil ?
Grave en ton cœur ce jour pour le maudire,
Et quand Bellone enfin aura paru,
Qu'un chef jamais n'ait besoin de te dire :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ?
Te souviens-tu ?... Mais ici ma voix tremble,
Car je n'ai plus de noble souvenir ;
Viens-t'en, l'ami, nous pleurerons ensemble,
En attendant un meilleur avenir.
Mais si la mort, planant sur ma chaumière,
Me rappelait au repos qui m'est dû,
Tu fermeras doucement ma paupière,
En me disant Soldat, t'en souviens-tu ?