Ils te l’avaient dit
là-bas en bas, dans la terre de tes parents
ils te l’avaient dit
que l’Europe était très grande, pour cela tu y allas
depuis le grand Sud
où l’ombre du palmier est douce
et l’eau des rivières
chemine sur la pointe des pieds, discrète.
Ils te l’avaient dit
de nuit, les pas lents des dunes.
Ils te l’avaient dit,
que le désert s’agrandit à mesure
que les riches du Nord
y brisent leurs montres de sable
à contrecoeur.
Et toi, tu avais seulement des envies de courir.
Qu’y fais-tu, Rashid, perdu à la charnière
d’un Nord peureux et un Sud qui se désespère ?
Ils ont déchiré ton honneur et ta chemise
et une fois ici, tu ne retourneras pas en arrière.
Peau de couleur de datte ou de suie
qui fait toujours la queue à Laietana,*
tu n’es pas innocent qui que soit le juge.
Tu es le péché, le dealer, la roulure.
Dixième de loterie cassé, bonne-main d’urinoir,
tu es tout ce qui rebute le pharisien.
Empoigne la croix et monte vers ton calvaire
Salam Rashid
Tu ne sais même pas combien de temps
cela fait que par les villes louées
tu traines
la sensation que partout tu étais de trop.
Nous te connaissons.
tu es chair de souterrain et de conquête,
la cale, juste pour ne pas que
la table de la fête chancèle.
Tu bous dans le chaudron
des rêves du Sud contre la périlleuse colère
de mourir seul.
Tu voulais voler, et l’Europe est une cage
et tu perds
peu à peu des souvenirs sur les trottoirs
péniblement
mais tu te sens vivant et attends comme les fauves.
Le monde se meut par ceux qui comme toi cheminent
plus que ce qu’ils veulent. Main d’oeuvre bon marché.
Survivants de prisons et de raclées
qui ont décidé que leurs savates les guideraient.
Demain pour toi sourira La Mona Lisa**.
Tu t’abriteras au Louvre, au frais***
Les cathédrales alterneront la messe
avec le Coran et les danses barbaresques
Mais tandis que l’Europe suit son instinct.
Elle a dissimulé les matraques avec des drapeaux
et à toi, elle te réserve un jardin du Maresme.****
Salam Rashid