Après une attente démesurée l'autobus enfin tourna le coin de la rue et vint freiner le long du trottoir.
Quelques personnes descendirent, quelques autres montèrent : j'étais de celles-ci.
On me asse sur la plate-forme, le receveur tira véhémentement sur une chasse de bruit et le véhicule repartit. Tout en découpant dans un carnet le nombre de tickets que l'homme à la petite boîte allait oblitérer sur son ventre, je me mis à inspecter mes voisins.
Rien que des voisins. Pas de femmes.
Un regard désintéressé alors.
Je découvris bientôt la crème de cette boue circonscrivante : un garçon d'une vingtaine d'années qui portait une petite tête sur un long cou et un grand chapeau sur sa petite tête et une petite tresse coquine autour de son grand chapeau.
Quel pauvre type, me dis-je.
Ce n'était pas seulement un pauvre type, c'était un méchant.
Il se poussa du côté de l'indignation en accusant un bourgeois quelconque de lui laminer les pieds à chaque passage de voyageurs, montants ou descendants.
L'autre le regarda d'un œil sévère, cherchant une réplique farouche dans le répertoire tout préparé qu'il devait trimbaler à travers les diverses circonstances de la vie, mais ce jour-là il ne se retrouvait pas dans son classement.
Quant au jeune homme, craignant une paire de gifles,
il profita de la soudaine liberté d'une place assise pour
se précipiter sur celle-ci et s'y asseoir.
Je descendis avant lui et ne pus continuer
à observer son comportement.
Je le destinais à l'oubli lorsque, deux heures plus tard,
moi dans l'autobus, lui sur le trottoir, je le revis cour de Rome, toujours aussi lamentable.
Il marchait de long en large en compagnie d'un camarade qui devait être son maître d'élégance et qui lui conseillait,
avec une pédanterie dandyesque, de faire diminuer l'échancrure de son pardessus en y faisant adjoindre un bouton supplémentaire.
Quel pauvre type, me dis-je.
Puis nous deux mon autobus, nous continuâmes notre chemin.