1939. Brésil (Minas Gerais et État de Rio).
1940. Janvier, retour à Paris. En juillet, l’exode. Saint Antonin. Ensuite le Lavandou.
1941-1942. Le Lavandou avec celle qui sera bientôt sa femme.
1943. Retour à Paris. Occupation allemande (la seconde).
1944. Mort de son frère.
1945. Affaiblie par les restrictions alimentaires, sa femme contracte la tuberculose. Ensemble à Cambo. Amélioration.
1947. Presque la guérison. Voyages de convalescence et d’oubli des maux en Égypte.
1948. Février, mort de sa femme, Marie-Louise, des suites d’atroces brûlures.
- 2.1
. . Lou
. . Lou
. . Lou, dans le rétroviseur d’un bref instant
. . Lou, ne me vois-tu pas ?
. . Lou, le destin d’être ensemble à jamais
. . dans quoi tu avais tellement foi
. . Eh bien ?
. . Tu ne vas pas être comme les autres qui jamais plus ne font signe, englouties dans le silence.
. . Non, il ne doit pas te suffire à toi d’une mort pour t’enlever ton amour.
. . Dans la pompe horrible
. . qui t’espace jusqu’à je ne sais quelle millième dilution
. . tu cherches encore, tu nous cherches place
. . Mais j’ai peur
. . On n’a pas pris assez de précautions
. . On aurait dû être plus renseigné,
. . Quelqu’un m’écrit que c’est toi, martyre, qui va veiller sur moi à présent.
. . Oh ! J’en doute.
. . Quand je touche ton fluide si délicat
. . demeuré dans ta chambre et tes objets familiers que je presse dans mes mains
. . ce fluide ténu qu’il fallait toujours protéger
. . Oh j’en doute, j’en doute et j’ai peur pour toi,
. . Impétueuse et fragile, offerte aux catastrophes
. . Cependant, je vais à des bureaux, à la recherche de certificats gaspillant des moments précieux
. . qu’il faudrait utiliser plutôt entre nous précipitamment tandis que tu grelottes
. . attendant en ta merveilleuse confiance que je vienne t’aider à te tirer de là, pensant « À coup sûr, il viendra
. . il a pu être empêché, mais il ne saurait tarder
. . il viendra, je le connais
. . il ne va pas me laisser seule
. . ce n’est pas possible
. . il ne va pas laisser seule, sa pauvre Lou…
- 2.2
. . Je ne connaissais pas ma vie. Ma vie passait à travers toi. Ça devenait simple, cette grande affaire compliquée. Ça devenait simple, malgré le souci.
. . Ta faiblesse, j’étais raffermi lorsqu’elle s’appuyait sur moi.
- 2.3
. . Dis, est-ce qu’on ne se rencontrera vraiment plus jamais ?
- 2.4
. . Lou, je parle une langue morte, maintenant que je ne te parle plus. Tes grands efforts de liane en moi, tu vois ont abouti. Tu le vois au moins ? Il est vrai, jamais tu ne doutas, toi. Il fallait un aveugle comme moi, il lui fallait du temps, lui, il fallait ta longue maladie, ta beauté, ressurgissant de la maigreur et des fièvres, il fallait cette lumière en toi, cette foi, pour percer enfin le mur de la marotte de son autonomie.
- 2.5
. . Tard j’ai vu. Tard j’ai su. Tard, j’ai appris « ensemble » qui ne semblait pas être dans ma destinée. Mais non trop tard.
. . Les années ont été pour nous, pas contre nous.
- 2.6
. . Nos ombres ont respiré ensemble. Sous nous les eaux du fleuve des événements coulaient presque avec silence.
. . Nos ombres respiraient ensemble et tout en était recouvert.
- 2.7
. . J’ai eu froid à ton froid. J’ai bu des gorgées de ta peine. Nous nous perdions dans le lac de nos échanges.
- 2.8
. . Riche d’un amour immérité, riche qui s’ignorait avec l’inconscience des possédants, j’ai perdu d’être aimé. Ma fortune a fondu en un jour.
- 2.9
. . Aride, ma vie reprend. Mais je ne me reviens pas. Mon corps demeure en ton corps délicieux et des antennes plumeuses en ma poitrine me font souffrir du vent du retrait. Celle qui n’est plus, prend, et son absence dévoratrice me mange et m’envahit.
- 2.10
. . J’en suis à regretter les jours de ta souffrance atroce sur le lit d’hôpital, quand j’arrivais par les corridors nauséabonds, traversés de gémissements vers la momie épaisse de ton corps emmailloté et que j’entendais tout à coup émerger comme le « la » de notre alliance, ta voix, douce, musicale, contrôlée, résistant avec fierté à la laideur du désespoir, quand à ton tour tu entendais mon pas, et que tu murmurais, délivrée « Ah tu es là ».
. . Je posais ma main sur ton genou, par-dessus la couverture souillée et tout alors disparaissait, la puanteur, l’horrible indécence du corps traité comme une barrique ou comme un égout, par des étrangers affairés et soucieux, tout glissait en arrière, laissant nos deux fluides, à travers les pansements, se retrouver, se joindre, se mêler dans un étourdissement du cœur, au comble du malheur, au comble de la douceur.
. . Les infirmières, l’interne souriaient ; tes yeux pleins de foi éteignaient ceux des autres.
- 2.11
. . Celui qui est seul, se tourne le soir vers le mur, pour te parler. Il sait ce qui t’animait. Il vient partager la journée. Il a observé avec tes yeux. Il a entendu avec tes oreilles.Toujours il a des choses pour toi.
- 2.12
. . Ne me répondras-tu pas un jour ?
- 2.13
. . Mais peut-être ta personne est devenue comme un air de temps de neige, qui entre par la fenêtre, qu’on referme, pris de frissons ou d’un malaise avant-coureur de drame, comme il m’est arrivé il y a quelques semaines. Le froid s’appliqua soudain sur mes épaules je me couvris précipitamment et me détournai quand c’était toi peut-être et la plus chaude que tu pouvais te rendre, espérant être bien accueillie ; toi, si lucide, tu ne pouvais plus t’exprimer autrement. Qui sait si en ce moment même, tu n’attends pas, anxieuse, que je comprenne enfin, et que je vienne, loin de la vie où tu n’es plus, me joindre à toi, pauvrement, pauvrement certes, sans moyens mais nous deux encore, nous deux…