Tous mes cinq sens : yeux, oreilles et bouche,
Le nez, et vous, le sensitif (1) aussi,
Tous mes membres où il y a reprouche, (2)
En son endroit un chacun die ainsi :
" Souvraine (3) Cour, par qui sommes ici,
Vous nous avez gardé de déconfire.
Or la langue seule ne peut suffire
A vous rendre suffisantes louanges ;
Si parlons tous, fille du Souvrain Sire,
Mère des bons et sœur des benoîts anges ! "
Cœur, fendez-vous, ou percez d'une broche,
Et ne soyez, au moins, plus endurci
Qu'au désert fut la forte bise roche
Dont le peuple des Juifs fut adouci : (4)
Fondez larmes et venez à merci ;
Comme humble cœur qui tendrement soupire,
Louez la Cour, conjointe au Saint Empire,
L'heur des François, le confort des étranges, (5)
Procréée lassus (6) ou ciel empire, (7)
Mère des bons et sœur des benoîts anges !
Et vous, mes dents chacune si s'éloche ; (8.)
Saillez avant, rendez toutes merci,
Plus hautement qu'orgue, trompe, ne cloche
Et de mâcher n'ayez ores souci ;
Considérez que je fusse transi, (9)
Foie, poumon et rate, qui (10) respire ;
Et vous, mon corps, qui vil êtes et pire
Qu'ours ne pourceau qui fait son nid ès fanges,
Louez la Cour avant qu'il vous empire,
Mère des bons et sœur des benoîts anges !
Prince, trois jours ne veuillez m'écondire, (11)
Pour moi pourvoir et aux miens adieu dire ;
Sans eux argent je n'ai, ici n'aux changes,
Cour triomphant, fiat, (12) sans me dédire,
Mère des bons et soeur des benoîts anges !