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Le petit testament [Russian translation]
Le petit testament [Russian translation]
turnover time:2025-01-16 01:02:18
Le petit testament [Russian translation]

I

L'an quatre cent cinquante six,

Je, François Villon, écolier,

Considerant, de sens rassis,

Le frein aux dents, franc au collier,

Qu'on doit ses œuvres conseillier

Comme Vegece le raconte,

Sage romain, grand conseillier,

Ou autrement on se mécompte. . .

II

En ce temps que j'ai dit devant,

Sur le Noel, morte saison,

Que les loups se vivent de vent

Et qu'on se tient en sa maison,

Pour le frimas, près du tison,

Me vint un vouloir de briser

La tres amoureuse prison

Qui souloit mon cœur debriser.

III

Je le fis en telle façon,

Voyant celle devant mes yeux

Consentant a ma défaçon,

Sans ce que ja lui en fût mieux;

Dont je me deuil et plains aux cieux,

En requerant d'elle vengeance

A tous les dieux venerieux,

Et du grief d'amour allegeance.

IV

Et se j'ai prins en ma faveur.

Ces doux regards et beaux semblants

De tres decevante saveur,

Me tréperçants jusqu'aux flancs,

Bien ils ont vers moi les pieds blancs

Et me faillent au grand besoin.

Planter me faut autres complants

Et frapper en un autre coin.

V

Le regard de celle m'a prins

Qui m'a eté felonne et dure:

Sans ce qu'en rien aie méprins,

Veut et ordonne que j'endure

La mort, et que plus je ne dure;

Si n'y voi secours que fouïr.

Rompre veut la vive soudure,

Sans mes ipteux regrets ouïr!

VI

Pour obvier a ces dangers,

Mon mieux est, ce croi, de partir.

Adieu! Je m'en vais a Angers:

Puis qu'el ne me veut impartir

Sa grace, ne me departir,

Par elle meurs, les membres sains;

Au fort, je suis amant martyr

Du nombre des amoureux saints.

VII

Combien que le depart me soit

Dur, si faut il que je l'élogne:

Comme mon pauvre sens conçoit,

Autre que moi est en quelogne,

Dont oncque soret de Boulogne

Ne fut plus alteré d'humeur.

C'est pour moi piteuse besogne:

Dieu en veuille ouïr ma clameur!

VIII

Et puis que departir me faut,

Et du retour ne suis certain,

(Je ne suis homme sans défaut

Ne qu'autre d'acier ne d'étain;

Vivre aux humains est incertain,

Et après mort n'y a relais;

Je m'en vais en pays lointain,)

Si établis ce present lais.

IX

Premierement, ou nom du Pere,

Du Fils et du Saint Esprit,

Et de sa glorieuse Mere

Par qui grace rien ne perit,

Je laisse, de par Dieu, mon bruit

A maître Guillaume Villon

Qui en l'honneur de son nom bruit,

Mes tentes et mon pavillon.

X

Item, a celle que j'ai dit,

Qui m'a si durement chassé

Que je suis de joie interdit

Et de tout plaisir dechassé,

Je laisse mon cœur enchassé,

Pale, piteux, mort et transi:

Elle m'a ce mal pourchassé,

Mais Dieu lui en fasse merci!

XI

Item, a maître Ythier Marchant,

Auquel je me sens tres tenu,

Laisse mon brant d'acier tranchant

Ou a maître Jean le Cornu,

Qui est en gage detenu

Pour un écot huit sous montant;

Si veuil, selon le contenu,

Qu'on leur livre, en le rachetant.

XII

Item, je laisse a Saint Amant

Le Cheval Blanc avec la Mule

Et à Blaru mon diamant

Et l'Ane rayé qui recule.

Et le decret qui articule

Omnis utriusque sexus,

Contre la Carmeliste bule

Laisse aux curés, pour mettre sus.

XIII

Et a maître Robert Vallee

Pauvre clergeot en Parlement,

Qui n'entend ne mont ne vallee,

J'ordonne principalement

Qu'on lui baille legerement

Mes brais, étants aux Trumillieres,

Pour coeffer plus honnêtement

S'amie Jeanne de Millieres.

XIV

Pour ce qu'il est de lieu honnête,

Faut qu'il soit mieux recompensé,

Car Saint Esprit l'amonête,

Obstant ce qu'il est insensé;

Pour ce, je me suis pourpensé

Qu'on lui baille l'Art de Memoire

A recouvrer sur Maupensé,

Puis qu'il n'a sens ne qu'une aumoire.

XV

Item, pour assigner la vie

Du dessusdit maître Robert,

(Pour Dieu! n'y ayez point d'envie!)

Mes parents, vendez mon haubert,

Et que l'argent, ou la plus part,

Soit employé, dedans ces Pâques,

A acheter a ce poupart

Une fenêtre emprès Saint Jacques.

XVI

Item, laisse et donne en pur don

Mes gants et ma huque de soie

A mon ami Jacques Cardon,

Le gland aussi d'une saussoie,

Et tous les jours une grasse oie

Et un chapon de haute graisse,

Dix muids de vin blanc comme croie,

Et deux procès, que trop n'engraisse.

XVII

Item, je laisse a ce noble homme,

Regnier de Montigny, trois chiens;

Aussi a Jean Raguier la somme

De cent francs, prins sur tous mes biens.

Mais quoi! Je n'y comprends en riens

Ce que je pourray acquerir:

On ne doit trop prendre des siens,

Ne son ami trop surquerir.

XVIII

Item, au Seigneur de Grigny

Laisse la garde de Nijon,

Et six chiens plus qu'à Montigny,

Vicêtre, châtel et donjon;

Et a ce malotru changeon,

Mouton, qui le tient en procès,

Laisse trois coups d'un escourgeon,

Et coucher, paix et aise, es ceps.

XIX

Et a maître Jacques Raguier

Laisse o l'Abreuvoir Popin,

Pêches, poires; au Gros Figuier

Toujours le choix d'un bon lopin,

Le trou de la Pomme de Pin,

Clos et couvert, au feu la plante,

Emmailloté en jacopin;

Et qui voudra planter, si plante.

XX

Item, a maître Jean Mautaint

Et maître Pierre Basanier

Le gré du seigneur qui atteint

Troubles, forfaits sans épargnier;

Et a mon procureur Fournier

Bonnets courts, chausses semelees

Taillees sur mon cordouanier

Pour porter durant ces gelees.

XXI

Item a Jean Trouvé, boucher,

Laisse le Mouton franc et tendre

Et un tacon pour émoucher

Le Bœuf Couronné qu'on veut vendre,

Ou la Vache: qui pourra prendre

Le vilain qui la trousse au col,

S'il ne la rend, qu'on le puît pendre

Et étrangler d'un bon licol!

XXII

Item, au Chevalier du Guet

Le Hëaume lui établis;

Et aux pietons qui vont d'aguet

Tâtonnant par ces établis,

Je leur laisse leur beau riblis:

La Lanterne a la Pierre au lait.

Voire, mais j'aurai les Trois Lis,

S'ils me menent en Châtelet.

XXIII

Item, a Perrenet Marchant,

Qu'on dit le Bâtard de la Barre,

Pour ce qu'il est tres bon marchand

Lui laisse trois gluyons de foerre

Pour étendre dessus la terre

A faire l'amoureux métier,

Ou lui faudra sa vie querre,

Car il ne sait autre métier,

XXIV

Item, au Loup et a Cholet

Je laisse a la fois un canard

Prins sur les murs, comme on souloit,

Envers les fossés, sur le tard;

Et a chacun un grand tabart

De cordelier jusques aux pieds,

Bûche, charbon et pois au lard,

Et mes houseaux sans avant-pieds.

XXV

De rechef je laisse, en pitié,

A trois petits enfants tous nus

Nommés en ce présent traitié,

Pauvres orphelins impourvus,

Tous déchaussés, tous dépourvus,

Et dénués comme le ver;

J'ordonne qu'ils soient pourvus

Au moins pour passer cet hiver.

XXVI

Premierement Colin Laurens,

Girard Gossouin et Jean Marceau,

Dépourvus de biens, de parents,

Qui n'ont vaillant l'anse d'un seau,

Chacun de mes biens un faisceau,

Ou quatre blancs, s'ils l'aiment mieux.

Ils mengeront maint bon morceau,

Les enfants, quand je serai vieux!

XXVII

Item, ma nomination

Que j'ai de l'Université

Laisse par resignation

Pour seclure d'aversité

Pauvres clercs de cette cité

Sous cet intendit contenus:

Charité m'y a incité,

Et Nature, les voyant nus.

XXVIII

C'est maître Guillaume Cotin

Et maître Thibaut de Vitry

Deux pauvres clercs, parlants latin,

Paisibles enfants, sans étry,

Humbles, bien chantants au letry;

Je leur laisse cens recevoir

Sur la maison Guillot Gueuldry

En attendant de mieux avoir.

XXIX

Item, et j'adjoins à la Crosse

Celle de la rue Saint Antoine

Ou un billard de quoi on crosse,

Et tous les jours plein pot de Seine;

Aux pigeons qui sont en l'essoine

Enserrés sous trappe voliere,

Mon mirouër bel et idoine

Et la grace de la geoliere.

XXX

Item, je laisse aux hôpitaux

Mes chassis tissus d'arignee;

Et aux gisants sous les étaux

Chacun sur l'œil une grongnee,

Trembler a chere renfrognee,

Maigres, velus et morfondus,

Chausses courtes, robe rognee,

Gelés, murdris et enfondus.

XXXI

Item, je laisse a mon barbier

Les rognures de mes cheveux,

Pleinement et sans détourbier;

Au savetier mes souliers vieux,

Et au frepier mes habits tieux

Que, quand du tout je les delaisse,

Pour moins qu'ils ne coûterent neufs,

Charitablement je leur laisse.

XXXII

Item, je laisse aux Mendiants,

Aux Filles Dieu et aux Beguines,

Savoureux morceaux et friands,

Flans, chapons et grasses gelines,

Et puis prêcher les Quinzes Signes,

Et abattre pain a deux mains.

Carmes chevauchent nos voisines,

Mais cela, ce n'est que du mains.

XXXIII

Item, laisse le Mortier d'or

A Jean, l'épicier, de la Garde;

Une potence de Saint Mor

Pour faire un broyer a moutarde.

A celui qui fit l'avant-garde

Pour faire sur moi griefs exploits:

De par moi saint Antoine l' arde!

Je ne lui ferai autre lais.

XXXIV

Item, je laisse a Merebeuf

Et a Nicolas de Louvieux

A chacun l'écaille d'un œuf

Pleine de francs et d'écus vieux.

Quant au concierge de Gouvieux,

Pierre de Rousseville, ordonne,

Pour le donner entendre mieux,

Ecus tels que le Prince donne.

XXXV

Finablement, en écrivant,

Ce soir, seulet, étant en bonne,

Dictant ce lais et décrivant,

j'ouis la cloche de Serbonne,

Qui toujours a neuf heures sonne

Le Salut que l'ange predit;

Si suspendis et y mis bonne

Pour prier comme le cœur dit.

XXXVI

Ce faisant, je m'entroubliai,

Non pas par force de vin boire,

Mon esperit comme lié;

Lors je sentis dame Memoire

Reprendre et mettre en son aumoire

Ses especes collaterales,

Opinative fausse et voire,

Et autres intellectuales,

XXXVII

Et mêmement l'estimative

Par quoi prospective nous vient:

Similative, formative,

Desquels bien souvent il avient

Que, par leur trouble, homme devient

fol et lunatique par mois:

Je l'ai lu, se bien m'en souvient,

En Aristote aucunes fois.

XXXVIII

Dont le sensitif s'eveilla

Et évertua F antasie

Qui tous organes réveilla,

Et tint la souvraine partie

En suspens et comme amortie

Par oppression d'oubliance

Qui en moi s'étoit épartie

Pour montrer des sens l'alliance.

XXXIX

Puis que mon sens fut a repos

Et l'entendement demêlé,

Je cuidai finer mon propos;

Mais mon encre trouvai gelé

Et mon cierge trouvai souillé;

De feu je n'eusse pu finer.

Si m'endormis, tout emmouflé,

Et ne pus autrement finer.

XL

Fait ou temps de ladite date

Par le bien renommé Villon,

Qui ne menge figue ni date.

Sec et noir comme écouvillon,

Il n'a tente ne pavillon

Qu'il n'ait laissé a ses amis,

Et n'a mais qu'un peu de billon

Qui sera tantôt a fin mis.

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François Villon
  • country:France
  • Languages:French (Middle French), French, French (Old French)
  • Genre:Poetry
  • Official site:http://cras31.info/IMG/pdf/villon_oeuvre_complete.pdf
  • Wiki:http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Villon
François Villon
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