Assis sur son croissant de lune
Pierrot attend
Que quelqu’un lui rende sa plume
Depuis le temps
Depuis le temps qu’on la lui vole
Pour envoyer des petits mots
Pierrot va prendre la parole
Écoutez bien Pierrot !
Assis sur son croissant de lune
En spectateur
Depuis sa luisante tribune
De nos malheurs
Pierrot a tant de choses à dire
Que si vous ne vous dépêchez
De lui donner de quoi écrire
Pierrot va se mettre à crier !
J’étais vivant, messieurs, mesdames,
J’étais vivant
Quand je jouais les mélodrames
De pantomime en mimodrame
J’étais vivant !
Et si je me taisais souvent
C’est que l’amour est bien plus beau
Avec des mains qu’avec des mots.
Eh, eh, regardez ce qu’on a fait de moi
Un habitant béat de vos pays lunaires
Et qui, à force de se taire
S’en va rêver tout seul.
Pourtant j’étais fils de révolte
Avec mes comédiens
De Colombine désinvolte
En singe d’Arlequin
La pièce n’est pas si gentille
Quand le valet
Vole la fortune et la fille
De celui qui le paie
Tu as bien applaudi, merci
Tu t’es levé, tu es parti
T’étais vivant, messieurs, mesdames
T’étais vivant
Quand tu venais aux mélodrames
De pantomimes au mimodrame
T’étais vivant
Et si tu payais pas souvent
Au moins tu savais t’en aller
Quand le spectacle étais mauvais
Eh, eh, tu as l’air de quoi dans ton fauteuil
À écouter bêler ce gratteur de guitare
Regarde-moi, et puis compare
Si t’as encore un œil
À moi tous ceux qui me ressemblent
Les valets, les piétons
Timides, muets, ceux qui tremblent
Devant tous les bâtons
C’étaient des coups de pieds aux fesses
Des cris de joie
Que je voulais dans cette pièce
Que vous jouez en bas
Quand le dénouement va venir
Je serai trop vieux pour applaudir !
Descends de ton croissant de lune
Juste une fois !
Si tu ne veux pas pour des prunes
User ta voix
Rester là-haut, c’est un peu comme
Si tu criais dans un désert
Descends de là si t’es un homme
Te battre avec la terre !
Assis sur son croissant de lune
Pierrot répond
Moi qui ne suis homme en aucune
De vos façons
Moi qui suis fait de différences
Tantôt tout blanc, tantôt tout noir
J’arrive au pays des différences
Tout est grisaille ici ce soir
Avez-vous regardé d’abord
Le pays qui vous sert de piste
Je n’ai jamais vu de décor
Si triste !
Quel est donc ce décorateur
Pour qui le sinistre est de mise
Quel est donc ce
Et qui sait seulement une couleur
La grise !
Quel est donc ce peintre maudit
Qui a dessiné sur la toile
La toile de fond de Paris
En y oubliant les étoiles.
Comme ton costume a changé
Ou sont tes carreaux de ta veste
Arlequin, ton masque est jeté
Tu restes
Sans ton chapeau, sans les manies
Tu restes le perdant qui gagne
Mais qui ne gagne que sa vie
Au bagne
Arlequin ton masque est jeté
Comme ton allure a change,
Plus de sauts, plus de cabrioles
Tu vas au boulot résigne
C’est ton auto qui te console !
Colombine, qui est l’auteur
Qui a pondu pour toi ce rôle.
Ni gai, ni simple, ni charmeur
Ni drôle
Depuis qu’un tas d’honnêteté
T’as prise avec lui en ménage
Femme dans cette société
Tu nages
Tu nages dans tes draps de lit
Tu nages dans l’eau de vaisselle
À tant te battre, tu oublies
Que de mon temps tu étais belle
On ne vole plus ton or
Harpagon, Pantalon, Cassandre
Il a bien grandi, le trésor
Et tu possèdes maintenant
Que tu as pris gout aux affaires
Les rois, les homes, les enfants
La terre
Comme on ne le reconnait plus
Sous les sociétés anonymes
Jamais les coups de pieds au cul
Ne peuvent trouver leurs victimes
Et toi, tu joues, messieurs, mesdames
Et toi, tu joues
Ce lamentable mélodrame
De pantomime en mimodrame
Et toi, tu joues
Es-tu sûr d’arriver au bout
Sans l’apercevoir à la fin
Que ce contrat ne valait rien
Eh, tu as l’air de quoi dans ton habit
S’il suffisait d’avoir un peu de maquillage
Pour se changer cœur et visage
Tu serais un génie
Tu sais, c’est pas écrit d’avance
Juste un petit dessin
C,a s’improvise, c,a se danse
Tu peux changer la fin
Cesse de rabâcher ton texte
Mauvais acteur
Saute sur le premier prétexte
Si tu n’as pas trop peur
De mon silence enfin je sors,
écoute-moi, fais un effort!
Tu vas mourir, messieurs, mesdames
Tu vas mourir !
Pour terminer ton mélodrame,
De pantomime en mimodrame
Tu vas mourir
Sans avoir jamais su sourire
Le rideau tombe et demain soir
On te remplace et ça repart
Va-t’en de ton croissant de lune
Pierrot bavard !
Tu vas déchaîner la rancune
Du désespoir.
Si t’es venu dire à la terre
Que cette vie mène au trépas
Reste muet, reste lunaire
On ne t’en voudra pas
Assis sur son croissant de lune
Pierrot …