C'est le jour de l'apothéose
Derrière leurs chefs à cheval
Nos héros dans le matin rose
Marchent vers l'arceau triomphal
Déridant son front redoutable
Voici Foch à l'oeil sibyllin
Pourquoi n'est il pas connétable
Notre moderne Du Guesclin ?
Près de lui, Joffre, en qui s'incarne
Le miracle du premier jour
Alors qu'il fixa sur la Marne
Son légendaire " - demi-tour !"
Voici l'ex généralissime,
Le vainqueur de Verdun, Pétain,
Complétant le trio sublime
Qui fixa, France, ton destin.
Plus loin, un glaive sur sa manche
Voici le sauveur de Nancy
Castelnau, qui tient la revanche
De ses deuils cornéliens
Voici ceux qui changèrent en déroute
Le dernier assaut du Kaiser,
Maistre, Fayolle, Humbert
Degoutte, Davenet, Gérard, Hirschauer,
Renarque, et ses gars impassibles
Terre, et ses sombres artilleurs
Estienne, et ses tanks invincibles
Duval et ses aviateurs
Voici l'entraîneur énergique
Au profil de César altier
Mangin, le compagnon d'Afrique
De Marchand et de Martier
Voici cambrant sa fine taille,
Gouraud, le martyr immortel
Gouraud, l'ange de la bataille
Jeune et beau comme un Saint-Michel
Mais derrière eux brillent des armes
Ce sont les poilus, taisons nous...
Et l'on sent que la foule en larmes
Est prête à tomber à genoux
Car ils sont les grands anonymes
Humbles soldats et caporaux
Choisis parmi les plus sublimes
De nos plus sublimes héros
Sous sa grande arche triomphale
Paris les regarde passer
L'allure grave et martiale
Si grands qu'ils devraient se baisser
Ceux de Champagne, et du Mort-Homme
Ceux de la Meuse et de l'Artois
Des Dardanelles, de la Somme
Des Effarges et du Vauquois
Ceux du Vartard, ceux du Dickmud
Ont passé sous le bras levé
De la Marseillaise de Rude
Leur jour de gloire est arrivé !
Mais tout en chantant l'allégresse
De ceux qui défilent là-bas
Je songe aussi plein de tristesse
A ceux qui ne défilent pas
Je songe aux aveugles sans nombre
Qui vont à tâtons devant eux
Pour que la France en sa nuit sombre
Puisse voir claire par leurs jeunes yeux
Je songe aux mutilés atroces
Dont les saints moignons se tendront
Toujours vers leurs bourreaux féroces
Et pour toujours les maudiront
Je songe à ceux qui sous la terre
Dorment du sommeil de la mort
Dans le grand charnier solitaire
Qui va de l'Alsace à Nieuport
A ceux qui loin de notre rive
Dorment au fond dans leur vaisseau
Ou bien voguent seuls en dérive
A travers l'infini des eaux
Et c'est pour que sur chaque tombe
Sur chaque oublié, chaque mort
Sur chaque aveugle aujourd'hui tombe
Comme un petit brin d'ajonc d'or
Que sur ma lyre armoricaine
Je chante aussi de tout mon coeur
Ceux là qui furent à la peine
Et qui ne sont pas à l'honneur....