Quand je rentre à la maison,
Elle me dit souvent
Que j'ai une tête d'enterrement
Et elle a raison,
Je travaille au cimetière,
C'est incontestable,
Je laisse ma tête au vestiaire
Et je me mets à table.
Faut pas se laisser abattre,
J'ai une faim de loup,
Moi je mange comme quatre
Et je bois comme un trou
Puis je retourne au cimetière
Travailler d'mon mieux,
Digérer mon pot de bière
Et mon croque-monsieur.
Pendant l'oraison du prêtre
J'ai un petit creux,
Moi je pense à ma côtelette,
À mon pot-au-feu.
Aux premières couronnes de fleurs
J'ai déjà la dent,
C'est mon estomac qui pleure
À chaque enterrement.
Comme un côté du cimetière
Est inhabité,
J'ai planté des pommes de terre
Dans l'intimité.
Et dans ma jaquette noire,
Entre deux services,
Je donne un coup d'arrosoir
Et je cours à l'office.
Je gratte, je bine et je bêche,
Quelle heureuse surprise
Quand je trouve un ver pour la pêche,
Je range ma prise
Dans une boîte en fer blanc.
Le temps est superbe,
Voilà un coin épatant
Pour déjeuner sur l'herbe.
À présent qu'a sonné l'heure
L'heure du goupillon,
Je pense à mes pommes vapeur,
À mon court-bouillon
Et quand tombent les premières gouttes
Sur mon haut-de-forme,
C'est mon ventre qui glougloute,
Mon ventre qui grogne.
Parfois je croque un oignon,
Parfois une gousse d'ail,
Parfois même un champignon
Est une victuaille,
Il faut faire avec,
Ce n'est pas copieux
Car ces oraisons du prêtre
On en voit pas la queue.
Le vent chasse les nuages,
C'est providentiel,
Un grand disque de fromage
Tourne dans le ciel,
La faim me monte à la tête,
J'avale mon chapeau,
Un bouton de ma jaquette
Et un pauvre mulot.
Je n'me sens pas dans mon assiette,
Je vais rendre l'âme,
Quand je pense à mes paupiettes,
À mon croque-madame.
Ça fait trop longtemps qu'ça dure,
Je m'allonge un peu
Sur le tapis de verdure
Et je ferme les yeux.